Plus bas que terre

« Elle se braque, elle s’enferme, elle pleure, plus bas que terre elle s’enfouira. »
Dans sa petite maison, cachée au fin fond de la forêt d’Hytlérion, Lyza se regardait dans son miroir. Ce reflet qu’il lui renvoyait était bien sombre, plus sombre qu’elle ne l’imaginait. Il lui renvoyait l’image d’une grande jeune femme aux cheveux auburn s’arrêtant aux épaules, ses yeux de couleur ardoise perçaient la nuit tandis que son teint pareil à la couleur de la lune luisait dans l’obscurité de la pièce. Elle détailla alors sa silhouette, longue et fine, ses habits n’étaient que foncés, ils contrastaient avec la pâleur de sa peau. Ennuyée par la vue de son physique, Lyza regardait sa pauvre maison, elle n’était pas fort confortable mais cela lui suffisait, à vrai dire, elle n’aimait pas trop dormir, cela l’ennuyait aussi.
Cependant, son instinct naturel reprit le dessus, elle ne pouvait résister aux appels de la forêt, épaisse et secrète. Elle sortit alors de son habitat en ruines et s’élança à la poursuite d’un petit oiseau en courant à travers la forêt aussi vite qu’un guépard en chasse, c’était une prédatrice, discrète, agile et légère, redoutable. Le petit oiseau, lui, n’avait aucune chance contre elle, car soyons sérieux, elle n’était ni humaine ni animale. Les Hommes disaient qu’elle était une erreur de la nature, qu’il fallait la supprimer, la faire disparaître pour que le monde change. Or, ils faisaient erreur. Elle n’était pas une erreur de la nature, c’était eux, l’erreur de la nature était bel et bien l’Homme. Selon elle, selon ses observations, l’Homme était naïf, égoïste et cruel. Il ne lui servait que de nourriture. Se cachant dans un recoin de la ville, une fois par semaine, elle attrapait un pauvre membre de cette espèce si répandue pour plonger ses dents acérées dans son cou, pour le mordre et lui prendre la vie qu’il n’avait pas méritée.
Une fois le petit oiseau rattrapé, elle l’emprisonna dans ses mains, il avait peur, il était affolé, si faible, il la suppliait de le relâcher en battant intensément des ailes. N’ayant rien contre la vie animale, elle le relâcha et le regarda s’envoler vers l’obscur ciel de la nuit. La nuit, c’était son environnement, elle haïssait le soleil, il lui faisait mal aux yeux, elle était une créature engendrée par la Nuit. La nuit, c’était son espace, il n’appartenait qu’à elle, elle y avait instauré ses propres règles et si, par un quelconque malheur, un Homme osait s’aventurer sur ses terres, on ne donnerait pas cher de sa peau.
L’Homme, lui, ne vivait pas très loin de la forêt d’Hytlérion mais il était civilisé, il vivait avec pleins de ses congénères, travaillait et construisait des tas de choses, Lyza ne comprenait pas pourquoi, elle trouvait ce genre de choses inutiles, pour elle, il suffisait de vivre, de se contenter de ce qu’on avait et rien d’autre. L’Homme faisait tant de choses inutiles pour ne pas être effacé de ce monde, même s’il est tout de même inutile lui-même.
Pour l’instant, elle avait faim, très faim, elle hésitait, cela faisait la troisième fois qu’elle se rendait dans le village cette semaine et les villageois commençaient à parler d’elle, à découvrir des choses sur elle mais Lyza décida quand même de faire un petit tour là-bas. Elle prit une sorte de raccourcis à travers les arbres de la forêt, en fait elle montait à la cime des arbres en pleine nuit et cherchait le moindre petit point de lumière, le moindre petit feu éclairant la nuit, les Hommes s’en servaient, car contrairement à elle, ils ne voyaient pas dans la nuit. Dès qu’elle vit une lumière non loin de là, elle se mit à sauter sur les branches qui voulaient bien d’elle, qui n’était pas aussi légère qu’une plume. Et, en quelques secondes, elle arrivait au meilleur point d’observation. Comme elle s’y attendait, des Hommes étaient là, à dormir autour du feu, ils étaient quatre et avaient des fusils et des gros sacs autour d’eux, sans doutes avaient-ils chassé toute la journée. Cette idée lui fit plaisir, elle n’aurait plus qu’à mordre le coup d’un Homme et tout serait réglé. Elle s’approcha alors du camp avec la finesse et le silence d’un chat. Arrivée à la nourriture la plus proche elle l’examina. C’était un homme d’une vingtaine d’années, non pas très beau mais pas non plus horrible. Il était grand et fin, avait des yeux bleus comme le ciel de journée et des cheveux noirs comme la cendre. Elle ne put s’empêcher de saliver avant de s’asseoir à côté de lui pour finalement sortir deux longs crocs de sa bouche, longs d’au moins cinq centimètre, elle les planta rapidement dans la chair de sa victime qui gémit à cette douleur, il esquissa un geste en même temps et s’empara d’une pierre qui trainait non loin d’ici et la frappa à la tête. Surprise, Lyza regardait vivement autour d’elle, les autres commençaient à se réveiller et l’homme la regardait avec de gros yeux qui sortaient de leurs orbites, il était dix fois plus beau lorsqu’il était couché et endormis. Il murmura des mots ne cessant de la regarder et cria « Au monstre ! ». Ces mots avaient blessé la jeune femme tandis que les autres se levèrent en sursaut et la regardèrent, apeurés. Elle rentra ses crocs, s’essuya les lèvres et les fixait prendre leurs armes, pensant qu’il valait mieux partir. C’est ce qu’elle fit immédiatement, elle partit comme elle était venue, à pas de chat, en finesse et discrètement. Puis, arrivée à la cime des arbres, elle regarda le groupe s’activer et se souvînt des mots qu’avaient prononcés le jeune homme : « Au monstre ! ». Elle fondit en larmes mais ne voulait pas les voir, eux, ces stupides humains. Laissant ses larmes rouler sur sa joue, elle courut, comme l’oiseau fuyait il y a peu de temps, elle n’était pas un monstre, elle n’avait pas de visage qui faisait peur, elle n’avait pas de peau en écailles ni de queue de sirène. Toutes ces créatures n’existaient pas, pourquoi n’était-ce pas elles les monstre, pourquoi, elle qui était différente de ces naïfs humains, était un monstre ? Cela n’avait aucun sens à ses yeux.
Arrivée dans sa maison en ruines, elle se laissa tomber le long de la cloison et pleura, encore et encore jusqu’à être sortie de ses sanglots par une odeur plutôt agréable, sucrée et apaisante, elle sortit de sa cabane et suivi l’odeur à travers la forêt, tout au long elle se demanda ce qu’était ce parfum enivrant qui la menait jusqu’au ruisseau de la clairière dégagée. Elle vit un homme, celui qu’elle avait mordu auparavant. C’était l’odeur de son sang qui l’attirait autant. Il se retourna et la regarda, elle fit de même. Le jeune homme ne semblait plus effrayé et continuait de la fixer dans les yeux l’air de dire : « Je suis plus fort que toi. » mais c’est elle qui ouvrit la parole en première :
« - Je ne suis pas un monstre. »
Il la regarda, perplexe et se demanda si il devait lui répondre ou non, étant renommé pour quelqu’un de fort et de courageux, il osa lui demander :
« - Qu’est-ce que tu es alors ? »
Les mots qu’elle répondit confirmèrent les hypothèses du jeune homme. Elle était la fille de la Nuit, la fille de la déesse Nyx, elle était un vampire. Il fallait la tuer, l’éliminer de ce monde, elle n’y avait pas sa place. Alors que le vampire se penchait à nouveau sur lui, il prit un bâton qu’il avait utilisé pour marcher et le lui enfonça en plein cœur.
Lyza fut surprise par la quinte de toux qu’elle eut subitement. Dès que ce bâton lui transperça le cœur, allait-elle mourir, non ce n’était qu’un bâton. Elle toussa une nouvelle fois et ne put susurrer qu’un mot en argot, l’homme l’entendit et remua le bâton dans la plaie, ce qui la fit encore plus souffrir, son mal de tête s’intensifia, sa vue se troubla encore plus et elle vit du sang, écarlate, le sien. C’est alors qu’une dernière quinte de toux vînt s’emparer d’elle.
L’homme, fier de lui s’empara de son corps et le ramena au village. Il fut accueilli par des « oh ! », « ah ! », « waw ! ». Il enterra le corps par respect par cette femme et fut acclamé dans tout le pays par son exploit fabuleux.
« Elle était morte, enfouie plus bas que terre. »